- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 19 mars 2017

Que disent-elles? Qu'il jouait du jazz d'instinct...





“Allan trouva que c'était une bonne idée. Ils avaient fait glisser le steak d'élan avec de la bière, et il se sentait si incroyablement bien qu'il se mit soudain à avoir peur de la mort.”

Jonas Jonasson,
Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire (2011) 

















“Tout vient à point à qui sait attendre. Même un steak bleu.”

Jean Gouyé, dit Jean Yanne,
J'me marre (2003)










Bonjour à toutes et tous!


Mes amis! Nous allons tourner une page.
Mais oui, rappelez-vous!

Nous étions tranquillement, sereinement, en train d’étudier les dérivés de la racine *stā-. “Être debout”.



Quand soudain, nous découvrons que de *stā-, et via le grec στῦλος, ‎stûlos “colonne”, descend notre français style, “partie allongée du pistil, entre l’ovaire et le ou les stigmates d’une fleur.”
Être stylite sur un stylobate, ça le fait vraiment pas.

Là, ni une ni deux, nous nous empressons de parler alors de notre autre style: la manière, la classe…
le style et la manière

Et surtout, de la racine indo-européenne dont cette acception de style descend: *(s)teig-, “piquer”.



Mine de rien, nous lui avons consacré quatre dimanches, à la délicieuse *(s)teig-, “piquer”.
Et cette petite incartade en valait franchement la peine, car nous lui avons trouvé des dérivés parfois bien surprenants, comme…

  • style, stylet, stylo,
  • étiquette, stick, stickleback, stigmate, stimulation, stimulus, stitch, ticket,
  • astic, astiquer,
  • instiguer, et tigre. Et Tigre.

Peut-être aussi asticot et asticoter.

Mais pas sting.



Et donc, en ce dimanche, nous allons clore le chapitre *(s)teig-, “piquer”, avant, dimanche prochain, de reprendre l’étude de l’immense, de la formidable, ...
... de l'énooooooorme ...
*stā-. “Être debout”.


Avant tout, une petite mise au point:
La semaine dernière, nous avions parlé du latin īnstīgō, īnstīgāre, “stimuler, inciter, piquer, exciter”, à l’origine de notre “instiguer”.

Et bon… vous pourriez facilement êtres tentés de rapprocher īnstīgō de … stinguō, “éteindre”.

La tentation est là, c’est certain, et beaucoup
- et non des moindres (Alain Rey, pour ne citer que lui…) -
y ont succombé.

Pour eux, le deuxième élément du composé īn-stīgō, “stīgō”, bien attesté, celui-là même qui dérive de notre indo-européenne *(s)teig-, “piquer”, avait servi de base à une forme nasalisée nettement moins attestée
- disons-le carrément: absolument pas attestée -:
*stingere. 

C'est ce radical *stingere qui aurait donné stinguō, -ere, attesté: éteindre.

Stinguō est bien connu: c’est sur lui que se sont composés les latins...
  • distinguere (“garder séparé, distinguer”), 
  • distinctus (“différent, distinct”), 
  • exstinguere (“éteindre, supprimer”), ou même
  • instinctus, participe passé de instiguere (“inciter”), qui donnera notre … instinct.
Mais voilà.
Ce rapprochement entre stīgō et stinguō est à présent, pour beaucoup, considéré comme… caduc, inapproprié, incorrect.
À cela plusieurs raisons, tant sémantiques que formelles. Sur lesquelles je ne vais vraiment pas m’étendre ; je vais vous épargner ça, vous me remercierez plus tard.
Sachez quand même qu’à présent, on rapproche plutôt stinguō de la racine indo-européenne *stengʷ-e/o-, “pousser”.


Ça, c’est fait.


Et maintenant, au boulot.

Je vous propose, en ce dernier dimanche sur  *(s)teig-, “piquer”, une énigme, qui nous servira de fil rouge jusqu'à la fin de cet article:


Quel est le rapport entre cet artiste et la date d'aujourd'hui? 

l'artiste en question

C'est évidemment une énigme - historico-linguistique - tordue, et si d'aventure vous en trouviez la réponse, évitez peut-être de le crier sur les toits.
La résoudre prouverait simplement que votre esprit est vraiment mal tourné, vraiment bien tordu.

Et que pour votre sécurité et celle de ceux que vous aimez, votre place n'est peut-être pas au milieu d'eux.



Vous réaliserez également que cela faisait plus de cinq ans
- depuis la création du blog, le 26 novembre 2011 -
que je calculais inlassablement la date à laquelle j'allais pouvoir enfin sortir cet article.

Patiemment, j'attendais.

Il FALLAIT qu'il soit publié un 19 mars (la date d'aujourd'hui, hein, on essaye de suivre).
Et NON, vous pouvez vérifier, il n'y a pas eu un seul dimanche 19 mars depuis le début du blog...
Le dernier, c'était en 2006!


Et c'est parti:
L’anglais (ou le français, n’ergotons pas) steak,

Aaaaaaaah....
provient, par le moyen anglais steike, du…. du…

OUI!!

… vieux norois
steik.

Steik signifiait rôti, ou viande rôtie ... mais surtout... à la broche.
Quant au verbe steikja, il signifiait tout simplement … rôtir. À la broche.



Watkins y voit (dans les vieux norois steik et steikja) la marque du germanique *staikō, dérivé en droite ligne de *(s)teig-.
Ben oui, c'est la broche sur laquelle on pique la viande qui en est l'élément significatif.

Outre steak,
emprunt anglais et aussi maintenant, français,
nous retiendrons quelques autres dérivés du vieux norois steik, comme:
  • l’islandais steik
  • le féroïen steik
  • le danois steg, et
  • le suédois stek.

Sans rire, vous l’auriez fait, vous, le rapprochement entre style, étiquette, stigmate, asticot et steak???


Allez, on continue.
Et on termine!


Dites voir: que pourriez-vous me citer comme plantes piquantes? 

Oui, il y a le cactus, mais encore?

L’ortie, oui, mais encore?

Allez, la plante que je veux vous faire trouver fait partie de la famille des Astéracées (ou Composées, rattachée au genre Carduus), dont les nombreuses espèces ont des feuilles épineuses et un calice formé d’écailles terminées par des piquants très aigus.


On ne l’aime pas beaucoup.
Souvent, même, vous êtes tenus d’arracher cette belle plante, pour éviter qu’elle ne se propage chez les voisins.

Oui?

Oui! Le chardon.



Eh bien, “chardon” ne vient absolument pas de *(s)teig-.

Non, il provient d’un bas latin cardo, altération du latin impérial carduus, chardon, artichaut
C’est d’ailleurs aussi de lui que proviennent nos carder et cardage ; le cardage de la laine se faisant à l’origine avec des têtes de…? chardon.

cardage de la laine

De chardon, aussi, le chardonneret!

Adorable petit oiseau qui vient - ce serait l'explication de son nom -  décrocher les flocons de laine restés accrochés aux chardons après le passage des moutons, pour ensuite les effilocher et en capitonner le nid de ses petits...

chardonneret

Il est un endroit au monde, que j’aime particulièrement, où on adore, ou on vénère le chardon!
On en a même fait l'emblème de la région: l’Écosse.



Le chardon est l’emblème de l’Écosse depuis le règne d’Alexander III,
qui fut roi des Scots de 1249 jusqu’à sa mort, le ... 19 mars 1286.

Le couronnement d'Alexander III
(source)
LE 19 MARS 1286 !!!!!


Et en anglais, chardon se dit… thistle.

Thistle, the Flower of Scotland



On raconte que le mot a été créé spécialement pour les Français, et plus particulièrement pour les journalistes parisiens.
Ah oui, ça, l’humour britannique… Ils sont parfois un peu... caustiques.
pliiiizeuuuh, it isse nott becose aîe aime
euh yongue Parijeune that aîe kanotteu
spiiik inglishaaaaan

- sicelle!
- non.

- zisseul-euuuh?
- non.

- SSisseulle?
-non.

- zisseull?
- non. Vraiment pas.








Thistle provient du vieil anglais thistel.

On le fait descendre du germanique *þistilaz, construit sur une variante allongée de notre *(s)teig-: *teigs-.


voeux norois
Du germanique *þistilaz descend également le

… OUI!! …

vieux norois

þistill, 

d’où ...

  • l’islandais þistill
  • le féroïen tistil,
  • le norvégien tistel,
  • le suédois tistel et
  • le danois tidsel



Et toujours de ce germanique *þistilaz, descend le vieux haut-allemand distil,

d’où ...
  • le wilamowicien döstuł
  • le luxembourgeois Dëschtel, ou
  • l’allemand Distel.
DISTEL, l'allemand!

Et voilà, vous savez tout! Je ne pouvais faire cet article qu'aujourd'hui, date anniversaire de la mort d'Alexander III roi d'Ecosse, depuis le règne de qui le chardon - Distel en allemand - est devenu l'emblême de l'Écosse.

Et ce n'est pas tout: le diminutif russe d'Alexandre, c'est ... Sacha, évidemment.

- Mais?? Vous êtes un vrai taré? Même un peu dangereux, en fait...
- Mais non, si peu...



Ah oui, encore deux choses!

Quand je vous parle du wilamowicien, je vous jure, je ne blague pas.

Le wilamowicien, la langue wilamowicienne
(en vernaculaire: Wymysiöeryś ; en polonais : język wilamowski)
est une langue germanique occidentale parlée dans la charmante petite bourgade de Wilamowice, près de Bielsko-Biała, sur la frontière entre la Silésie et la Petite Pologne.


exactement
On suppose que le wilamowicien dérive du haut-allemand du XIIème siècle. En outre, on y retrouve des influences de bas-saxon, de néerlandais, de frison, de polonais et même... de scots!.


Wilamowice, avec sa population au grand complet

Et un tout dernier mot:

Savez-vous ce qu'est un distelfink?


exemple de distelfinks

Encore un exemple de distelfinks

Il s'agit, comme vous pouvez le constater ci-dessus, d'un oiseau stylisé, que l'on retrouve dans l'art populaire du Deitscherei
(ou Pennsylvania Dutch Country),
cette région de Pennsylvanie peuplée d'anciens immigrés originaires de contrées germanophones: du Palatinat, de la Suisse alémanique, de l’Alsace et de Lorraine germanophone, et qui parlent toujours à l'heure actuelle un dialecte de haut-allemand, le Pennsilfaanisch-Deitsch ou Pennsilfaani-Deitsch.

Ces gens se sont regroupés en communautés.

Witness, 1985,  de Peter Weir, avec Harrison Ford et Kelly McGillis.


Les communautés mennonites et amish.



C'est ici qu'ils habitent...

... dans ce genre de (superbes) fermes, par exemple

























Et distelfink est tout simplement le nom allemand par lequel on désigne le ... chardonneret, ce sympathique volatile dont je vous parlais plus haut!
Distel-fink, littéralement “pinson du chardon”



Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une très très belle semaine!



Frédéric



Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen CHAQUE JOUR de la semaine!

(Mais de toute façon, avec le dimanche indo-européen, 
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).




Pour nous quitter...

Sacha Distel, le musicien, le guitariste de jazz...


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